L’électronique moderne repose sur une compréhension du comportement des électrons dans les matériaux conducteurs et semi-conducteurs. Les modèles traditionnels montrent leurs limites face à certains matériaux quantiques émergents. Une équipe de chercheurs de l’Université Nationale de Singapour a récemment mis en lumière un phénomène surprenant dans le graphène, ouvrant de nouvelles possibilités pour la détection des ondes térahertz. Les travaux de ces scientifiques pourraient avoir des implications majeures pour le développement de technologies futures dans divers domaines.
Un comportement électronique inattendu
Dans les cours de physique au lycée, les élèves apprennent que le branchement d’un câble dans un circuit électrique déclenche un flux d’électrons, alimentant ainsi nos appareils quotidiens. Le modèle classique décrit les électrons comme des particules indépendantes, semblables à des voitures sur une autoroute, se déplaçant librement sans interagir significativement entre elles.
Toutefois, cette vision s’avère inadéquate pour certains matériaux quantiques comme le graphène, un matériau ultramince et hautement conducteur. Dans ces substances, les électrons adoptent un comportement collectif, rappelant celui d’un fluide visqueux tel que l’huile.
Le professeur assistant Denis Bandurin et son équipe du Département de Science des Matériaux et d’Ingénierie de l’Université Nationale de Singapour ont étudié l’interaction entre les matériaux quantiques et les radiations électromagnétiques à l’échelle nanométrique. Leurs recherches visent à découvrir de nouveaux phénomènes scientifiques et à explorer les applications potentielles pour les technologies futures.
Une étude récente a révélé un phénomène intriguant. Lorsque le graphène est exposé à des radiations électromagnétiques de fréquences térahertz, le fluide électronique s’échauffe et sa viscosité diminue drastiquement. Ce processus entraîne une réduction de la résistance électrique, comparable à la manière dont l’huile ou le miel s’écoulent plus facilement lorsqu’ils sont chauffés.
Les ondes térahertz : un domaine prometteur
Les ondes térahertz (THz) représentent une partie spécifique et technologiquement complexe du spectre électromagnétique, située entre les micro-ondes et la lumière infrarouge. Leur détection pourrait permettre des avancées majeures dans de nombreux domaines technologiques.
Dans le secteur des communications, par exemple, la technologie Wi-Fi actuelle fonctionne à plusieurs GHz, ce qui limite la quantité de données transmissibles. Les radiations THz, avec leur fréquence beaucoup plus élevée, pourraient servir de «fréquence porteuse» pour des réseaux ultra-rapides, au-delà de la 5G. Un transfert de données plus rapide serait ainsi permis pour les appareils connectés de l’Internet des Objets (IoT), les voitures autonomes et de nombreuses autres applications.
En imagerie médicale et en contrôle qualité industriel, les ondes THz peuvent pénétrer de nombreux matériaux, les rendant utiles pour des examens non invasifs. Elles sont également plus sûres que les rayons X, offrant un outil d’imagerie très sélectif et précis.
Dans le domaine de l’astronomie observationnelle, la vision THz permet aux scientifiques d’observer des galaxies lointaines et des exoplanètes invisibles à la lumière visible.
Le bolomètre à électrons visqueux : une innovation majeure
L’étude de l’équipe de l’Université Nationale de Singapour a montré que l’exploitation de l’effet de réduction de la viscosité permet la création de dispositifs innovants capables de détecter les ondes THz en mesurant les changements de résistance électrique. Le professeur assistant Bandurin et son équipe ont ainsi développé une nouvelle classe de dispositifs électroniques appelés bolomètres à électrons visqueux.
Ces bolomètres représentent la première application pratique et concrète de l’électronique visqueuse, un concept autrefois considéré comme purement théorique. Ils sont capables de détecter les changements de résistance avec une précision et une rapidité extrêmes, fonctionnant en principe à l’échelle de la picoseconde, soit des millionièmes de millionièmes de seconde.
La compréhension et l’exploitation du mouvement collectif des électrons comme un fluide permettent une refonte complète de la conception des dispositifs électroniques. Dans cette optique, le professeur assistant Bandurin et son équipe travaillent activement à l’optimisation de ces bolomètres à électrons visqueux pour des applications pratiques.
À mesure que les scientifiques découvrent de nouveaux secrets dans le monde émergent des matériaux quantiques, il devient évident que les modèles traditionnels du comportement des électrons ne suffisent plus. L’adoption de cette nouvelle compréhension de l’électronique visqueuse pourrait marquer le début d’une nouvelle ère de possibilités technologiques.
Légende illustration : Des voitures sur une autoroute à un fluide visqueux comme l’huile, notre compréhension du comportement des électrons est modifiée par de nouvelles recherches. Crédit : Collège de conception et d’ingénierie, Université nationale de Singapour
Article : ‘Viscous terahertz photoconductivity of hydrodynamic electrons in graphene’ / ( 10.1038/s41565-024-01795-y ) – National University of Singapore – Publication dans la revue Nature Nanotechnology