Lorsque deux trous noirs fusionnent ou que deux étoiles à neutrons entrent en collision, des ondes gravitationnelles peuvent être générées. Elles se propagent à la vitesse de la lumière et provoquent de minuscules distorsions dans l’espace-temps.
Albert Einstein avait prédit leur existence, et la première observation expérimentale directe date de 2015. Aujourd’hui, le Prof. Ralf Schützhold, physicien théoricien au Centre Helmholtz de Dresde-Rossendorf (HZDR), va un pas plus loin. Il a conçu une expérience grâce à laquelle les ondes gravitationnelles peuvent non seulement être observées mais aussi manipulées. Publiée dans la revue Physical Review Letters (DOI : 10.1103/xd97-c6d7), cette idée pourrait également apporter de nouveaux éclairages sur la nature quantique de la gravité, jusqu’ici seulement conjecturée.
« La gravité affecte tout, y compris la lumière », affirme Schützhold. Et cette interaction se produit également lorsque des ondes gravitationnelles et des ondes lumineuses se rencontrent. L’idée de Schützhold est de transférer de minuscules paquets d’énergie d’une onde lumineuse vers une onde gravitationnelle. Ce faisant, l’énergie de l’onde lumineuse est légèrement réduite, et l’énergie de l’onde gravitationnelle est augmentée de la même quantité. Cette énergie est égale à celle d’un ou plusieurs gravitons, les particules d’échange de la gravité qui ont été postulées dans des modèles théoriques, mais pas encore prouvées. « Cela rendrait l’onde gravitationnelle un tout petit peu plus intense », explique le physicien. L’onde lumineuse, en revanche, perd exactement la même quantité d’énergie, ce qui entraîne un changement infime de la fréquence de l’onde lumineuse.
« Le processus peut aussi fonctionner dans l’autre sens », poursuit Schützhold. Dans ce cas, l’onde gravitationnelle cède un paquet d’énergie à l’onde lumineuse. Il devrait être possible de mesurer les deux effets, c’est-à-dire l’émission stimulée et l’absorption de gravitons, bien qu’avec un effort expérimental considérable. Schützhold a calculé les dimensions énormes d’une telle expérience : potentiellement, des impulsions laser dans le spectre visible ou proche infrarouge pourraient être réfléchies d’avant en arrière entre deux miroirs jusqu’à un million de fois. Dans une configuration d’environ un kilomètre de long, cela produirait une longueur de trajet optique d’environ un million de kilomètres. Un tel ordre de grandeur est suffisant pour mener la mesure souhaitée de l’échange d’énergie causé par l’absorption et l’émission de gravitons lorsque la lumière et une onde gravitationnelle se rencontrent.
Cependant, le changement de fréquence de l’onde lumineuse causé par l’absorption ou la libération de l’énergie d’un ou plusieurs gravitons en interaction avec l’onde gravitationnelle est extrêmement faible. Néanmoins, en utilisant un interféromètre astucieusement construit, il devrait être possible de démontrer ces changements de fréquence. Dans ce processus, deux ondes lumineuses subissent des changements de fréquence différents – selon qu’elles absorbent ou émettent des gravitons. Après cette interaction et le parcours de la longueur de trajet optique, elles se superposent à nouveau et génèrent une figure d’interférence. À partir de celle-ci, il est possible de déduire le changement de fréquence survenu et donc le transfert de gravitons.
L’expérience pourrait également apporter des éclairages sur les propriétés quantiques du champ gravitationnel
« Il peut s’écouler plusieurs décennies entre l’idée initiale et l’expérience », indique Schützhold. Mais peut-être que cela arrivera plus tôt dans ce cas, car l’observatoire LIGO – acronyme de Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory – qui est dédié à la détection des ondes gravitationnelles, présente de fortes similitudes. LIGO se compose de deux tubes sous vide en forme de L d’environ quatre kilomètres de long. Un séparateur de faisceau divise un faisceau laser sur les deux bras du détecteur. À leur passage, les ondes gravitationnelles entrantes déforment minimalement l’espace-temps, ce qui provoque des changements de quelques attomètres (10-18 mètres) dans la longueur initialement égale des deux bras. Ce minuscule changement de longueur modifie la figure d’interférence de la lumière laser, générant un signal détectable.
Dans un interféromètre adapté à l’idée de Schützhold, il pourrait être possible non seulement d’observer les ondes gravitationnelles mais aussi de les manipuler pour la première fois par émission stimulée et absorption de gravitons. Selon Schützhold, des impulsions lumineuses dont les photons sont intriqués, c’est-à-dire couplés mécaniquement quantiquement, pourraient augmenter significativement la sensibilité de l’interféromètre.
« Alors nous pourrions même tirer des conclusions sur l’état quantique du champ gravitationnel lui-même », déclare Schützhold. Bien que cela ne constituerait pas une preuve directe de l’hypothétique graviton, qui fait l’objet d’un débat intense parmi les physiciens, ce serait au moins une forte indication de son existence. Après tout, si les ondes lumineuses ne présentaient pas les effets d’interférence prédits lors de l’interaction avec les ondes gravitationnelles, la théorie actuelle basée sur les gravitons serait réfutée. Il n’est donc guère surprenant que le concept de Schützhold pour la manipulation des ondes gravitationnelles suscite un grand intérêt parmi ses collègues.
Article : Stimulated Emission or Absorption of Gravitons by Light – Journal : Physical Review Letters – Méthode : Case study – DOI : Lien vers l’étude
Source: HZDR











