Natalia Milazzo
Isabella Poli, ingénieure spécialisée dans les technologies énergétiques et chimiques durables, travaille à l’Institut italien de technologie (IIT) de Turin, au sein du Centre pour les technologies durables du futur. Ses recherches portent sur le développement de matériaux semi-conducteurs et conducteurs innovants qui, grâce à des réactions photocatalytiques, peuvent générer des combustibles solaires à partir de l’eau et du CO₂ capturé directement dans l’atmosphère. Ces matériaux sont très poreux et peuvent également éliminer les polluants de l’eau grâce à des processus de réduction catalytiques et physiques. La durabilité est un principe clé non seulement dans les applications de ces matériaux, mais aussi dans leur mode de production.
Après avoir obtenu une licence en génie énergétique à l’École polytechnique de Milan, un master en technologies énergétiques durables à l’université technique de Delft et un doctorat en technologies chimiques durables à l’université de Bath, Isabella Poli a rejoint l’IIT en 2019. Elle a d’abord travaillé avec le groupe Matériaux avancés pour l’optoélectronique et coordonne désormais le groupe Matériaux et technologies énergétiques appliqués au Centre pour les technologies durables du futur, un pôle interdisciplinaire créé en collaboration avec le Politecnico di Torino.
Ses recherches portent sur la synthèse et le traitement de nouveaux matériaux pour les réactions photoélectrochimiques et photocatalytiques. Il s’agit de matériaux capables d’utiliser la lumière du soleil pour déclencher des processus tels que la dissociation de l’eau, la réduction du dioxyde de carbone ou la photodégradation des polluants organiques.
Sur quoi vos recherches se concentrent-elles en particulier ?
« Nous travaillons principalement sur les semi-conducteurs, des matériaux capables d’absorber la lumière du soleil et de la convertir en une autre forme d’énergie. Avant de rejoindre l’IIT, j’ai commencé par m’intéresser au photovoltaïque, qui consiste à convertir l’énergie solaire en électricité. Aujourd’hui, je me concentre sur les matériaux qui convertissent la lumière du soleil non pas en électricité, mais en énergie chimique, qui peut ensuite entraîner différentes réactions. »
Pouvez-vous donner quelques exemples ?
« Bien sûr. Un exemple est la dissociation de l’eau, réalisée par des systèmes photocatalytiques qui séparent l’eau en hydrogène et en oxygène. Ce processus produit de l’hydrogène vert, l’un des combustibles les plus prometteurs pour l’avenir, un véritable « combustible solaire ».
Un autre exemple est la réduction du dioxyde de carbone, où le CO₂ est transformé en substances utiles telles que l’acide formique ou le monoxyde de carbone. Ces produits offrent une alternative plus durable à ceux dérivés des combustibles fossiles. En même temps, ce processus contribue à éliminer le CO₂ de l’atmosphère, en le recyclant en ressources précieuses pour l’industrie chimique et d’autres domaines. »
Comment les nouveaux matériaux que vous développez fonctionnent-ils dans ce contexte ?
« Nous synthétisons des matériaux fonctionnels qui captent la lumière du soleil et l’utilisent comme catalyseur pour des réactions chimiques. Notre objectif est également de concevoir des matériaux à très haute porosité, c’est-à-dire avec une très grande surface en contact avec les réactifs. Plus la surface est grande, plus la réaction est efficace. Ces matériaux microporeux peuvent être comparés à des éponges. L’idée est de combiner ces « éponges » avec des semi-conducteurs, afin qu’elles puissent absorber la lumière du soleil et générer des charges électriques, à l’instar des panneaux solaires. Cependant, contrairement aux panneaux solaires où les charges sont extraites pour alimenter un circuit externe, ici, les charges restent à la surface du matériau et déclenchent directement des réactions chimiques avec l’eau ou d’autres molécules. »
Quelles sont les applications pratiques de ces techniques ?
« Dans la photocatalyse de l’eau, l’objectif principal est de produire de l’hydrogène vert, un combustible durable. Une autre application importante est le contrôle de la pollution, en particulier la décomposition des contaminants organiques dans l’eau, tels que les colorants. Ces grosses molécules organiques sont difficiles à filtrer, mais elles peuvent être décomposées par des réactions électrochimiques. En rompant leurs liaisons moléculaires, nous pouvons finalement les réduire en dioxyde de carbone. Cela rend le processus très efficace pour traiter la pollution de l’eau. »
Appliquez-vous également les principes de durabilité lors de la création de nouveaux matériaux ?
« Oui. Nous nous efforçons de concevoir des matériaux hautement performants sans recourir à des substances toxiques, telles que les solvants dangereux qui sont encore couramment utilisés dans ce domaine. Par exemple, nous développons des techniques de synthèse mécanochimique, qui permettent de créer des matériaux sous forme solide sans solvants. Concrètement, nous plaçons les réactifs dans des bocaux contenant des billes métalliques et les faisons tourner selon un mouvement planétaire, à la fois autour d’eux-mêmes et autour d’un axe central. L’énergie mécanique générée par le frottement entre les sphères et les réactifs fournit l’énergie nécessaire à la réaction chimique. En ajustant les ingrédients de départ, nous pouvons optimiser le processus et obtenir des matériaux présentant les propriétés souhaitées. »
Quel type de matériaux de départ utilisez-vous ?
« Nous commençons par des substances appelées précurseurs, qui peuvent être organiques ou inorganiques, et les combinons avec des modulateurs. Le résultat est un matériau cristallin avec une structure bien définie. C’est un peu comme en cuisine : le choix des bons ingrédients est essentiel pour obtenir le produit final souhaité. Dans le cas des matériaux poreux, en particulier les MOF (Metal-Organic Frameworks), nous avons découvert que la porosité optimale n’est obtenue qu’en ajoutant une petite quantité de méthanol. Il ne s’agit donc pas d’un processus totalement exempt de solvants, mais la quantité utilisée est minime par rapport aux méthodes traditionnelles, qui nécessitent généralement de grandes quantités de solvants et de produits chimiques toxiques. Si les quantités sont limitées dans la recherche en laboratoire, à l’échelle industrielle, les solvants toxiques peuvent causer de graves problèmes environnementaux. C’est pourquoi nos travaux représentent une innovation durable. De plus, certains solvants, tels que les DMF, largement utilisés dans la synthèse des MOF, ont récemment été interdits par l’Union européenne, ce qui rend encore plus urgente la recherche d’alternatives. »
Pouvez-vous donner un dernier exemple de ces applications ?
« L’un des domaines sur lesquels nous nous concentrons est le développement de semi-conducteurs sans plomb. Le plomb reste un problème critique dans les panneaux solaires actuels. D’une part, nous travaillons à le remplacer par des matériaux non toxiques ; d’autre part, nous étudions des méthodes de recyclage pour récupérer et réutiliser le plomb des panneaux existants. Cela implique également de traiter les eaux usées contenant du plomb, pour lesquelles nous testons nos matériaux hyperporeux comme absorbants efficaces. »
Source : IIT