Abus de position dominante : Gazprom dans le viseur de Bruxelles

La Commission européenne a adressé la semaine dernière à Gazprom une lettre des griefs dans laquelle elle affirme que certaines de ses pratiques commerciales sur les marchés gaziers d’Europe centrale et orientale constituent un abus de position dominante contraire aux règles de l’UE en matière d’ententes et d’abus de position dominante.

En effet, Gazprom occupe une position dominante sur le marché de l’approvisionnement en gaz dans l’ensemble des pays d’Europe centrale et orientale, détenant des parts de marché nettement supérieures à 50 % dans la plupart de ceux-ci et pouvant aller jusqu’à 100 % dans certains d’entre eux.

Sur la base de son enquête, la Commission conclut à titre préliminaire que Gazprom enfreint les règles de l’UE en matière d’ententes et d’abus de position dominante en appliquant une stratégie générale de cloisonnement des marchés gaziers d’Europe centrale et orientale, par exemple en réduisant la capacité de revente transfrontière de gaz de ses clients. Cela a pu permettre à Gazprom de facturer des prix inéquitables dans certains États membres. Gazprom pourrait aussi avoir abusé de sa position dominante en subordonnant ses livraisons de gaz à l’obtention d’engagements distincts de la part des grossistes concernant les infrastructures de transport gazier.

Gazprom dispose à présent d’un délai de 12 semaines pour répondre à la communication des griefs et peut demander à être entendue afin de présenter ses arguments.

La Commission Européenne précise par ailleurs qu’elle respectera "pleinement les droits de la défense" de Gazprom et examinera attentivement ses observations avant de prendre une décision.

"Le gaz est un bien essentiel pour notre vie quotidienne: il chauffe nos maisons et nous l’utilisons pour la cuisine et pour produire de l’électricité. Le maintien d’une concurrence équitable sur les marchés européens du gaz est par conséquent de la plus haute importance." a déclaré Margrethe Vestager, la commissaire européenne chargée de la politique de concurrence.

Et d’ajouter : "Toutes les entreprises opérant sur le marché européen – qu’elles soient européennes ou non – doivent respecter les règles de l’UE. Je crains que Gazprom n’enfreigne les règles de l’UE en matière d’ententes et d’abus de position dominante en abusant de sa position dominante sur les marchés de l’UE. Selon nous, elle pourrait avoir érigé des obstacles artificiels empêchant l’acheminement du gaz de certains pays d’Europe centrale et orientale vers d’autres, entravant ainsi la concurrence transfrontière. Le cloisonnement des marchés nationaux du gaz a aussi permis à Gazprom de facturer des prix que nous jugeons, à ce stade, inéquitables. Si nos préoccupations venaient à se confirmer, Gazprom devrait assumer les conséquences juridiques de son comportement."

Les conclusions préliminaires de la Commission :

À la lumière de son enquête, la Commission européenne estime à titre préliminaire que Gazprom entrave la concurrence sur ce marché dans 8 États membres (Bulgarie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne et Slovaquie). Elle estime que Gazprom applique une stratégie générale abusive sur ces marchés et en particulier que:

– "Gazprom impose des restrictions territoriales dans ses accords de fourniture avec les grossistes et avec certains clients industriels dans les pays énumérés ci-dessus. Ces restrictions consistent en des interdictions d’exportation et des clauses prévoyant l’utilisation du gaz acheté sur un territoire spécifique (clauses relatives à la destination). Gazprom a aussi appliqué d’autres mesures empêchant le flux de gaz transfrontière, telles que l’obligation faite aux grossistes d’obtenir son accord pour exporter du gaz et le refus, dans certaines circonstances, de modifier le lieu où le gaz devait être livré. La Commission estime que ces mesures empêchent le libre-échange de gaz dans l’Espace économique européen (EEE);"

– "Ces restrictions territoriales peuvent provoquer une hausse des prix du gaz et permettre à Gazprom de mener une politique de prix déloyale dans cinq États membres (Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie et Pologne), facturant aux grossistes des prix beaucoup plus élevés que ses propres coûts ou les prix de référence. Ces prix inéquitables découlent en partie des formules de calcul des prix appliquées par Gazprom, lesquelles indexent les prix du gaz mentionnés dans les contrats d’approvisionnement sur ceux d’un panier de produits pétroliers et ont indûment favorisé Gazprom par rapport à ses clients;"

– "Gazprom pourrait tirer profit de sa position dominante en subordonnant ses livraisons de gaz à la Bulgarie et à la Pologne à l’obtention d’engagements distincts de la part des grossistes concernant les infrastructures de transport gazier. Par exemple, les livraisons de gaz ont été subordonnées à des investissements dans un projet de gazoduc promu par Gazprom ou à l’obligation d’accepter que Gazprom renforce son contrôle sur un gazoduc."

Une action saluée par les euro-socialistes français
:

"M. Juncker avait promis une Commission européenne « plus politique ». Nul doute qu’en matière de concurrence, le changement est là et que la commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, montre qu’elle entend utiliser pleinement les véritables pouvoirs de l’Union européenne en matière de concurrence pour s’attaquer aux multinationales, qui abusent de leur force, ainsi qu’aux Etats, qui jouent le jeu de l’optimisation fiscale. Dans le cas de Gazprom, cette action vise à mettre fin à des tarifs à « la tête du client », entraînant une différence de prix de plus de 40%, et des mesures qui visent à laisser Gazprom maître du jeu." a indiqué de son côté la Délégation socialiste française au Parlement Européen.
 
"En s’attaquant aux abus, d’abord d’un géant américain, puis russe, le message politique envoyé par l’Europe est très clair : les règles et les valeurs européennes doivent être respectées, non seulement par les entreprises européennes, mais aussi par toutes celles qui opèrent sur son sol. (…) Dans cette action, Margrethe Vestager peut compter sur le soutien des eurodéputés socialistes et radicaux."

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Sicetaitsimple

nos importations de gaz russe au niveau européen me parait être un impératif. Or la production européenne vu d’aujourd’hui ne fait que se réduire ( UK, Pays-Bas, Danemark, Norvège à terme). Oublions pour l’instant d’éventuels gaz de schistes… Certes de nouveaux exportateurs, notamment les USA, apparaissent. Ca devrait permettre de détendre sur le moyen terme la situation. Mais la meilleure façon de détendre, c’est d’abord de moins consommer, et avant de ne pas plus consommer. Donc d’agir avant tout sur les consommations “propriétaires” du gaz ( chauffage en premier lieu) par de l’isolation. Et de ne pas favoriser l’usage du gaz dans la production d’électricité, et donc ne pas se précipiter dans des schémas débiles de fermeture à marche forcée de centrales nucléaires, charbon voire lignite au bénéfice du meilleur ami des renouvelables en Europe, c’est-à-dire Gazprom. Faut juste faire les choses dans l’ordre, du renouvelable bien entendu à un rythme raisonnable, mais pas au “bénéfice” de la consommation globale de gaz .