Compétition

Compétition, le mot est redoutable, il signifie lutte, struggle for life, comme dans la vie sauvage, avec en toile de fond l’idée que les uns vont gagner au détriment des autres, et que les vaincus sont éliminés. Vae victis disait Brennus, le chef gaulois, malheur aux vaincus, c’était 4 siècles avant notre ère. C’est le contraire de la civilisation, c’est le contraire du développement durable. La performance qui nous est proposée aujourd’hui est toute autre : il s’agit toujours de se dépasser, de faire mieux ensemble, de manière à relever le formidable défi de retrouver un équilibre de fin de révolution industrielle sans devoir payer trop cher. Un prix à la fois humain, économique et environnemental. Les rythmes de croissance que nous connaissons n’ont été possibles que grâce au déstockage massif de ressources, notamment d’énergie, et il faut aujourd’hui, avec une population démultipliée et des modes de vie autrement plus exigeants que ceux des princes de jadis, faire face à d’énormes niveaux de consommation sans mettre en péril la planète et sa capacité à nous accueillir. Voilà un beau défi, et ce n’est pas la compétition qui nous permettra de le relever mais la convergence de nos efforts. Nous ne pouvons pas nous permettre le luxe de la compétition, avec les gâchis qui en résultent. Il faut trouver d’autres manières de provoquer l’effort et la mobilisation des énergies.

Parlons d’émulation, dans le but de se stimuler mutuellement, de s’entraîner à l’effort, de mesurer son propre niveau de performance. Il s’agit alors d’une sorte de jeu, indispensable pour l’apprentissage dont il est le ressort. L’enjeu n’est pas d’écraser l’autre, mais de progresser ensemble. Il s’agit de se dépasser soi-même, pas d’éliminer l’autre. Transposé en matière sportive, c’est l’escalade et la solidarité de la cordée dans l’effort qui traduit le mieux cette recherche de dépassement. La performance conduit à une victoire commune, pas à celle d’un groupe ou d’un individu sur d’autres. En matière économique, rappelons que les Chinois, qui produisent aujourd’hui ce que nous produisions hier, sont aussi des consommateurs de nos produits actuels, et qu’ils offrent à l’ancien monde un marché qui s’accroît chaque année de quelques dizaines de millions de consommateurs. Concurrents ou partenaires, les deux approches sont complémentaires, et cette dualité ne peut être réduite à une simple et brutale compétition, avec vainqueur et vaincu. Tous les pays qui ont rejoint l’Union européenne ont contribué à sa richesse bien au delà de ce que leur développement a coûté aux pays déjà membres. Nous sommes dans des dynamiques dont la concurrence est un des moteurs, mais avec la finalité d’un développement commun, qui doit être durable.

Le développement durable, c’est l’alternative à la compétition, c’est l’organisation de la complémentarité des efforts, de la valorisation maximum des vertus, des talents et des compétences de chacun. C’est la voie qui est proposée pour relever le défi auquel l’humanité du 21ème siècle est confrontée. L’autre réponse est la loi du plus fort, l’apartheid mondial, qui permet aux plus puissants d’exploiter sans vergogne les ressources qui demeurent accessibles, en se protégeant des plus pauvres. Ce n’est pas le développement durable.

Le spectacle politique auquel nous assistons en France est à ce titre consternant. Il est présenté comme normal que deux projets de société s’affrontent, qu’un choix clair soit ainsi offert aux citoyens. C’est le but même de la campagne électorale. Et quoi, il est normal que 51% des Français imposent leur genre de vie et leur perception de la société aux 49% autres ? Qu’est-ce que cela signifie, au moment où chacun ressent que de profondes réformes sont nécessaires dans la société française ? Personne n’ignore que ces transformations demanderont des efforts, et que l’adhésion du plus grand nombre sera la condition du succès. Quelle adhésion attendre d’une confrontation renforcée par une mise en scène voulue par nos institutions. Nos échéances politiques sont-elles durables, qui valorisent la compétition, et la domination du vainqueur sur le vaincu, l’exclusion du minoritaire (rappelez-vous la célèbre phrase d’André Laignel, vous avez juridiquement tort, puisque vous êtes politiquement minoritaires). Les défis à relever demandent au contraire que des consensus puissent être établis, que la confiance entre acteurs soit renforcée. Quelles institutions devons-nous adopter pour obtenir ce résultat, la recherche du consensus au lieu de l’affrontement, la conscience qu’il faut consentir des efforts, chacun à sa manière, pour savoir prendre les risques utiles, et les partager. Quel mode d’élection, quelle répartition des pouvoirs pour mobiliser pleinement les énergies, les amener à collaborer ? Les bonnes institutions sont celles qui favorisent l’émergence d’un projet commun, largement partagé, même s’il remet en cause des avantages sectoriels. Ce n’est pas la mise en scène de la confrontation, et de l’exclusion qui en résulte inévitablement. Les tribus gauloises auxquelles on se réfère volontiers pour évoquer nos ancêtres et expliquer un comportement frondeur, n’offrent-elles pas une bonne excuse pour conserver des institutions fondées sur la gestion du conflit, plutôt que sur la recherche d’un consensus ? Un bon thème de réflexion pour la sixième république dont on parle beaucoup, pour qu’elle nous permette d’aller vers un développement durable.

[ Archive ] – Cet article a été écrit par Dominique Bidou

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