En quatorze secondes d’ascension aussi brèves qu’historiques, la fusée Eris de Gilmour Space Technologies de 23 mètres a franchi la tour de lancement avant de retomber dans son panache de fumée. Derrière ce vol d’essai écourté le 30 juillet dernier, c’est tout un écosystème spatial qui se met en orbite : l’Australie signe ainsi sa première tentative d’envoi d’un lanceur conçu, assemblé et tiré sur son sol, ouvrant la voie à une souveraineté technologique longtemps convoitée.
Installé sur la toute nouvelle Bowen Orbital Spaceport, le lanceur tricolore (noir-blanc-rouge) de 30 tonnes s’appuie sur une propulsion hybride à base de carburant solide et d’oxydant liquide, un pari moins coûteux que les moteurs 100% liquides. L’objectif de la campagne « Test Flight 1 » reste de valider l’intégration des trois étages, du moteur Sirius et des infrastructures terrestres. Si le vol s’est soldé par une dérive latérale avant impact, les équipes soulignent « le franchissement critique de la phase pad-clear », première marche vers l’orbite.
Au-delà du spectacle, chaque milliseconde de télémétrie renseigne sur la combustion, la pressurisation des réservoirs ou la rigidité du lanceur. SpaceX ou Rocket Lab ont essuyé plusieurs échecs avant de stabiliser leurs modèles ; Gilmour Space mise sur la même itération rapide, forte des enseignements glanés lors de ce vol suborbital. Surtout, l’entreprise valide le fonctionnement réglementaire de la première licence de tir orbital délivrée par Canberra, étape indispensable pour ses futures campagnes commerciales.
Un enjeu stratégique national
Pour l’Australie, rejoindre le club restreint des puissances capables de placer des charges utiles en orbite représente un atout industriel et géopolitique : diversification de l’économie, indépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers et attractivité pour les constellations de petits satellites. Le gouvernement a injecté 5 millions AUD dans le développement du moteur, tandis que la Bowen Orbital Spaceport affiche déjà une file d’attente d’opérateurs publics et privés séduits par la latitude tropicale du site.
La prochaine version d’Eris, déjà en production, promet une capacité de 300 kg en orbite basse et un cycle de lancement plus réactif que les géants du secteur. À moyen terme, Gilmour Space envisage des variantes plus puissantes pour la desserte lunaire. Mais avant de viser les étoiles, il lui faudra dompter les trente premières secondes de vol, zone où se gagnent ou se perdent les paris spatiaux.
L’Australie s’offre enfin la possibilité de tourner la page d’une dépendance spatiale de cinq décennies. Si le ciel du Queensland n’a vu qu’une brève étincelle, c’est une filière entière qui s’est allumée. Prochaine étape : transformer l’essai et inscrire « Fabriqué aux antipodes » sur la carte mondiale des lanceurs.
Source : Gspace