À quoi ressemblera l’avenir de nos sols – et donc la disponibilité de l’eau – sous l’influence des changements climatiques imminents ?Une étude internationale dirigée par Jesse Radolinski et Michael Bahn de l’Institut d’écologie de l’Université d’Innsbruck montre comment la sécheresse, le réchauffement et l’augmentation des concentrations de CO₂ dans l’atmosphère modifient l’équilibre hydrologique du sol et remettent en question la résilience des écosystèmes.Les résultats ont été publiés dans la revue Science.
Les prairies couvrent près de 40 % de la surface de la terre et jouent un rôle important dans le cycle global de l’eau. Néanmoins, la manière dont le changement climatique affecte ces écosystèmes vitaux est encore mal comprise. Une nouvelle étude, menée dans le cadre d’un projet international financé par l’Académie autrichienne des sciences et dirigé par Michael Bahn du groupe de recherche sur l’écologie fonctionnelle de l’université d’Innsbruck, apporte de nouvelles informations sur l’avenir des écosystèmes de prairie. Les résultats de cette étude d’un an illustrent la manière dont la sécheresse, la hausse des températures et l’augmentation des concentrations de CO₂ affectent la disponibilité de l’eau du sol et l’utilisation de l’eau par les plantes.
« Nous avons simulé les changements attendus dans les scénarios climatiques futurs de trois facteurs clés : le réchauffement, l’augmentation des concentrations atmosphériques de CO₂ et la sécheresse. Nous avons étudié les effets à la fois individuellement et dans différentes combinaisons », explique Michael Bahn. En utilisant de l’eau de pluie marquée avec des isotopes stables, l’équipe a pu analyser en détail le mouvement et le stockage de l’eau dans l’espace poreux du sol et pendant l’évaporation après la fin de la sécheresse.

L’augmentation des niveaux de CO2 peut-elle avoir des effets positifs à court terme ?
Lorsque les concentrations de CO₂ augmentent, l’espace racinaire des plantes reste plus humide car les plantes utilisent l’eau plus efficacement. La chaleur, en revanche, entraîne une perte générale d’humidité dans le sol. Si la sécheresse se répète dans un climat futur plus chaud, les propriétés du sol seront fortement modifiées.
« Dans ces scénarios, l’eau du sol est moins bien mélangée, car elle s’écoule principalement à travers les grands pores à drainage rapide et pénètre moins fortement dans les petits pores à drainage lent. L’eau plus ancienne y adhère également plus longtemps », ajoute Jesse Radolinski. Cela nuit à la connectivité hydrologique, qui est essentielle à la disponibilité de l’eau pour les plantes. Les chercheurs soulignent que cette restriction des flux d’eau dans le sol a des conséquences considérables sur la fonction et la résilience des écosystèmes des prairies. Les plantes sont obligées d’utiliser l’eau plus parcimonieusement, ce qui pourrait limiter leur capacité à croître et à se régénérer à long terme.
« Dans le même temps, cependant, notre étude montre également que l’augmentation des niveaux de CO₂ dans l’atmosphère peut avoir des effets positifs à court terme, tels qu’un rétablissement plus rapide après les sécheresses. Toutefois, ces effets sont éclipsés par les effets négatifs du réchauffement et de la sécheresse sur les propriétés du sol », complète M. Bahn. « Notre expérience est unique car nous avons pu simuler expérimentalement les conditions d’un climat futur depuis 2014 et ainsi analyser les effets à plus long terme ».
Les chercheurs ont utilisé une installation expérimentale unique qu’ils ont conçue à l’institut de recherche agricole de Raumberg-Gumpenstein, en Styrie. Il comprend 54 parcelles d’essai dotées de chauffages radiants et de systèmes de fumigation au CO₂, ainsi que des toits automatisés qui protègent de la pluie. Cela a permis de simuler un certain nombre de scénarios climatiques réalistes et d’étudier en détail les interactions entre l’eau du sol et les plantes.

Révélation d’une relation complexe entre le sol et les plantes
La principale conclusion de l’étude est que la connectivité hydrologique dans le système poreux du sol est perturbée en permanence par des phases de sécheresse récurrentes, ce qui a un effet particulièrement important dans un climat plus chaud avec une augmentation du CO2. « Auparavant, on supposait que l’eau du sol était bien mélangée lorsqu’il pleuvait, mais nos résultats montrent que ce mélange sera sévèrement limité après des sécheresses répétées dans un climat futur. Cela a des conséquences importantes pour l’utilisation de l’eau par les plantes et la dynamique des écosystèmes », indique pour sa part M. Radolinski.
« L’étude montre que les interactions entre le sol et les plantes pourraient être beaucoup plus complexes qu’on ne le pensait. Cela a un impact significatif sur la capacité des écosystèmes à survivre et à se remettre des sécheresses », résume M. Bahn.
Les résultats de l’étude soulignent une fois de plus la nécessité d’élaborer des stratégies pour renforcer la résilience des écosystèmes face au changement climatique et de faire progresser les efforts mondiaux en matière de protection du climat.
Légende illustration : Vue aérienne de l’installation ClimGrass en Styrie, dans laquelle une prairie tempérée est soumise à un réchauffement atmosphérique individuel et combiné (+3°C) et à un enrichissement en CO2 (+ 300 ppm), ainsi qu’à une sécheresse récurrente.
Jesse Radolinski, Matevz Vremec, Herbert Wachter, Steffen Birk, Nicolas Brüggemann, Markus Herndl, Ansgar Kahmen, Daniel B. Nelson, Angelika Kübert, Andreas Schaumberger, Christine Stumpp, Maud Tissink, Christiane Werner, Michael Bahn. Article : « La sécheresse dans un climat plus chaud et riche en CO2 limite l’utilisation de l’eau dans les prairies et le mélange de l’eau dans le sol. »
DOI : 10.1126/science.ado0734
Source : U. Innsbruck