Samsung Heavy Industries et l’Institut coréen de recherche sur l’énergie atomique viennent d’obtenir la toute première « Approval in Principle » (AiP) pour un méthanier propulsé par réacteur nucléaire à sels fondus. Délivrée par l’American Bureau of Shipping et le Registre libérien, la certification représente un moment charnière pour la marine marchande, en recherche de solutions décarbonées. L’annonce, faite lors du salon Gastech 2025 à Milan, positionne la Corée du Sud comme pionnière d’une technologie susceptible de bouleverser le transport maritime mondial.
Le concept validé repose sur un réacteur à sels fondus (MSR) de 100 MWth, développé conjointement par Samsung Heavy Industries (SHI) et l’Institut coréen de recherche sur l’énergie atomique (KAERI). Son principal atout : une autonomie théorique couvrant l’intégralité de la vie du navire, sans rechargement de combustible, tout en supprimant les émissions directes de CO₂.
Décarboner sans compromis sur la performance
Au-delà de l’argument environnemental, le recours au nucléaire répond à une exigence opérationnelle. Les méthaniers de 174 000 m³ consomment entre 30 MW et 75 MW en régime de croisière ; une puissance que le MSR fournit sans ravitaillement, libérant de l’espace à bord et réduisant la dépendance aux cours du fuel.
Selon un rapport de Lloyd’s Register, « les réacteurs modulaires de nouvelle génération pourraient bouleverser le modèle économique du shipping en séparant l’armateur de la complexité du nucléaire, via des contrats de fourniture de puissance ». Une perspective qui séduit des compagnies sous pression, alors que l’Organisation maritime internationale vise la neutralité carbone « autour de 2050 ».
La sécurité et l’acceptabilité, les pierres d’achoppement
Le précédent des cargos atomiques des années 1960 rappelle toutefois les obstacles non techniques : coûts d’exploitation élevés, infrastructure portuaire déficiente et réticence du public. « La perception du risque nucléaire et l’absence de cadre réglementaire harmonisé restent des freins majeurs », avertit Christopher Wiernicki, PDG d’ABS. C’est pourquoi, les concepteurs sud-coréens répondent par une double cuve en acier inoxydable et eau légère, ainsi qu’un système passif de vidange du combustible en cas d’urgence.
La certification AiP n’est qu’une première étape car SHI devra maintenant convaincre les armateurs, les assureurs et surtout les autorités portuaires. La Corée ambitionne un démonstrateur en mer avant 2030, tandis que son rival HD Korea Shipbuilding & Offshore Engineering planche déjà sur un porte-conteneurs de 15 000 TEU propulsé lui aussi par SMR.
En toile de fond, la compétition avec la propulsion à hydrogène, l’ammoniac ou le méthanol vert s’intensifie. La filière nucléaire mise sur la densité énergétique inégalée de l’uranium pour s’imposer sur les longues routes transocéaniques.
Cap sur une flotte atomique ?
En décrochant cette première autorisation, la Corée place un jalon décisif dans la décarbonation du commerce maritime. Si l’adoption commerciale reste conditionnée à des règles internationales encore balbutiantes, le signal envoyé au marché serait : l’ère des cargos nucléaires, avortée il y a un demi-siècle, pourrait renaître sous le signe des petits réacteurs modulaires. Les prochaines années diront si l’alliance du nucléaire civil et du transport maritime saura gagner la bataille de l’opinion et des coûts, ou si elle restera un pari technologique parmi d’autres sur la route du « zéro émission ».