La capture directe du CO2 dans l’atmosphère (DAC) mobilise l’attention des scientifiques et des décideurs politiques alors que les objectifs de l’Accord de Paris semblent de plus en plus difficiles à atteindre. En 2023, le seuil critique de 1,5°C a été dépassé durant la majeure partie de l’année. Une analyse approfondie menée par les chercheurs du MIT Energy Initiative vient bouleverser les certitudes établies concernant l’efficacité réelle du système DAC. Les résultats publiés dans la revue One Earth soulèvent des interrogations fondamentales sur la faisabilité technique et économique de cette solution.
L’équipe du MIT a identifié trois obstacles techniques majeurs dont l’impact se révèle déterminant pour l’avenir du DAC. La concentration infime du CO2 dans l’atmosphère, établie à 420 parties par million (0,04%), impose des défis considérables. Les chercheurs ont précisé : « La différence peut être comparée à la recherche de 10 billes rouges parmi 25 000 billes bleues pour le DAC, contre 10 billes rouges parmi 100 billes bleues pour la capture traditionnelle ».
Le traitement d’1,8 million de mètres cubes d’air s’avère nécessaire pour extraire une tonne métrique de CO2. Les dimensions requises par les installations atteignent des proportions gigantesques : un projet actuel nécessite une structure de trois étages s’étendant sur cinq kilomètres pour capturer annuellement un million de tonnes de CO2.
La consommation énergétique soulève des questions fondamentales
Les besoins énergétiques du processus DAC ont été analysés en profondeur par les scientifiques. Une consommation minimale de 1,2 mégawattheure d’électricité s’avère indispensable pour chaque tonne de CO2 capturée. Howard Herzog, ingénieur de recherche principal au MITEI, a souligné : « L’utilisation d’électricité produite à partir du charbon générerait 1,2 tonne de CO2 pour chaque tonne capturée, annulant totalement les bénéfices recherchés ».
À grande échelle, l’élimination de 10 gigatonnes de CO2 annuelles nécessiterait 12 000 térawattheures d’électricité. Cette quantité représente plus de 40% de la production électrique mondiale actuelle, soulevant des interrogations sur la disponibilité des ressources énergétiques décarbonées.
Les sources de chaleur alternatives, souvent présentées comme solutions, suscitent le scepticisme des chercheurs. La proximité géographique requise, limitée à quelques kilomètres, et la nécessité d’un approvisionnement constant restreignent considérablement les possibilités d’utilisation de chaleur résiduelle industrielle.
Les enjeux économiques freinent le déploiement
L’implantation des unités DAC se heurte à de multiples obstacles techniques et logistiques. Les infrastructures doivent être raccordées à des sources d’énergie bas carbone et disposer d’accès aux sites de stockage. Les conditions météorologiques impactent significativement les performances, tandis que l’espacement optimal entre les unités reste indéterminé.
Les analyses financières réalisées par l’équipe du MIT démontrent que les coûts réels dépassent considérablement les estimations initiales. Les dépenses énergétiques atteignent 120 dollars par tonne avec un prix d’électricité de 0,10 dollar par kilowattheure, un tarif jugé optimiste compte tenu de la demande croissante en électricité propre.
Les analyses comparatives avec les technologies existantes de capture du carbone renforcent le scepticisme des experts. Sur les sites industriels utilisant la capture classique (CCS), les coûts oscillent entre 50 et 150 dollars par tonne de CO2 capturée. Les investissements en capital pour les unités DAC s’avèrent considérables, dépassant 5 000 dollars par tonne de capacité annuelle de capture.
Un développement technologique à poursuivre malgré les limites
La plus importante installation DAC opérationnelle ne parvient actuellement qu’à capturer 4 000 tonnes de CO2 par an. Les crédits carbone générés atteignent 1 500 dollars par tonne, un montant jugé prohibitif pour une adoption à grande échelle.
L’équipe du MIT souligne néanmoins l’importance de poursuivre les recherches sur le DAC, particulièrement pour les secteurs industriels difficilement décarbonables comme l’aviation, certaines industries lourdes et l’agriculture. Les améliorations en matière d’efficacité énergétique restent possibles, même si les lois physiques imposent des limites incompressibles aux performances du système.
Les chercheurs mettent en garde contre une dépendance excessive envers le DAC dans les stratégies de décarbonation. Un expert du MIT a conclu : « Compte tenu des enjeux liés au changement climatique, il serait imprudent de compter sur le DAC comme solution miracle pour nous sauver ».
Légende illustration : Deux des quatre unités d’absorption de l’usine de captage et de stockage direct de l’air de Climeworks, Orca, à Hellisheidi, en Islande, sont représentées sur la photo. Chaque unité d’absorption peut éliminer environ 1 000 tonnes de dioxyde de carbone par an.
Article : « Getting real about capturing carbon from the air » – DOI : S2590-3322(24)00421-4
Source : MIT